dimanche, mars 26, 2006

Le sacrifice des gros

Si on allume la télé japonaise, il y a de fortes probabilités que l'on tombe sur une émission de cuisine si on ne tombe pas sur une émission de divertissement/tourisme/publicité. Dans cet univers télévisuel, quelques gentils gros ont réussi à se faire une place, allant ici et là dévorer les spécialités locales, jouant les gentils un peu benoîts sur les plateaux télé, ayant parfois, reconnaissance suprême, une émission de cuisine à eux (dans lequel on verra par exemple une poëllée de mochi à l'ail à la sauce au foie gras, difficile de croire que l'on ne vit pas dans un pays de barbares). Si l'on devait croire ces apparences, le rôle du gros dans la société est celle des Etats-Unis dans le monde globalisée: se baffrer. Et surtout ne pas montrer ses états d'âme: le gros doit être débonnaire et joyeux. Qui voudrait d'un gros triste ?
Bref, si vous avez dans une émission quelque chose dont vous voulez vanter les propriétés gustatives, il vous suffit d'inviter un gros, et le faire croquer à pleine dents la denrée en question et prononcer les lèvres luisantes: "uma~i!" (délicieux!), les yeux plissés dans une extase gastronomique à faire se damner un ascète. Et quelque fois, cela ne manque pas de cynisme.
L'autre jour, il y a avait une émission diététique, pour mettre en garde contre une nourriture trop "riche" (celle qui fait qu'il y a un taux d'obésité plus élevé chez les pauvres, j'adore la langue française). Comme souvent dans ce genre d'émissions, cela commence par une reconstitution, peut-être tirée d'un fait divers ou d'une légende urbaine, en tout cas avec suffisamment de réalisme pour la rendre crédible. On nous présente donc un heureux couple avec un enfant, le mari rentrant fatigué du travail le soir heureux de manger la cuisine de sa tendre épouse; et celle-ci en retour, heureuse de lui cuisiner les plats qu'il aime: kara-age, tonkatsu, et autres fritures. Après quelques années de ce régime, le gentil mari, un soir, se sent pris d'un malaise et est transporté d'urgence à l'hôpital. Par chance, il ne meurt pas -on cherche à faire un peu peur pour donner un peu plus de poids au reste de l'émission et vendre plus de pub, pas à paniquer l'audience- mais est obligé à passer le reste de sa vie à se nourrir de salade et de haricots sans beurre. Ce qui est quand même triste.
La diététicienne sur le plateau nous explique qu'il mangeait trop gras et trop salé, qu'il faut faire attention. Jusque là, somme-toute, rien à dire, c'est une bonne chose de faire de la prévention, le taux d'obésité au Japon, bien que faible, est en progression du fait du changement d'alimentation. Que voulez-vous, la nourriture japonaise n'est plus ce qu'elle était et l'alimentation quotidienne n'est pas faite que de sushi et d'algues, copieusement arrosées de sake parce qu'il faut bien faire oublier que ce genre de nourriture tous les jours ce n'est pas sardanapalesque.
Arrivent alors 3 invités - demi-célébrités là-encore - à qui avait été donnée la difficile mission de préparer en version allégée le "best 2" des plats préférés de la famille japonaise contemporaine: le sus-mentionné tonkatsu et le riz au curry, qui tous deux présentent des propriétés diététiques somme toute assez peu en rapport avec l'activité physique de l'employé de bureau moyen. Chacun dévoile donc la recette (pour 4 personnes) de tonkatsu qu'il (ou elle) a imaginé, analysée par la diététicienne, je résume: diminution de l'apport calorique de 20 à 40%. Pas mal donc. Mais gustativement, que cela vaut-il ? A qui le demander, sinon aux spécialistes de la bouche, nos gentils gros ? Ca tombe bien, il y en avait 3 sur le plateau, enfermés dans un box trop étroit, sans doute pour mieux montrer leur exceptionnelle corpulence, box doté d'une barrière, non sans ressemblance avec celle des élevages bovins, qui s'ouvre pour libérer les gros alors que sont apportés sur le plateau les plats préparés par les invités. Et les gros de les dévorer à pleines bouchées, et de donner leur approbation avec force bonne humeur. Ceci fait, on les remet dans leur box, et on recommence avec le riz au curry. A la fin de l'émission, nos 3 gros ont donc mangé 2 fois 3 plats pour 4 personnes (soit de quoi nourrir 24 personnes), dans le silence approbatif de la diététicienne. Pour une émission supposée encourager une alimentation saine, je trouve ça assez écoeurant.

2 commentaires:

Tigroo a dit…

Il y a de l'avenir pour Maïté....

Anonyme a dit…

Dur a lire, forcément. Mais ton post m'a fait réfléchir un peu, concernant la télé française... Et les "gros" sont rares (Non, ce n'est pas péjoratif, juste marre du politiquement correct). A part Guy Carlier, je n'en vois effectivement que dans les émission de cuisine. Et encore, il y en a de moins en moins... Alors que le taux de progression des personnes "en sur-poid" (c'est fait...) est assez important... A la télé, ils pensent aux "minorités visibles" (mdr) mais pas aux personnes de "forte corpulence" (moi aussi j'aime la langue française ^-^). Etrange ... Et un peu triste aussi.